Lunette de soleil vissée sur la tête, ce n’est pas que je me sens plus beau gosse comme ça. Mes yeux sont habitués à ce que j’en porte ; et puis des beaux yeux blues comme les miens il faut les préserver. Mais je ne suis pas là pour ça. Ma moto avale la route ; le vent frappe ma veste en cuir et j’aime cette sensation ? Je freine, j’arrivais enfin à destination. Pourtant, j’aurais bien fait un tour supplémentaire de la ville à chevaucher mon destrier de métal. Mais je m’arrête. Je retire mon casque, mes cheveux sont ébouriffés mais je m’en fiche. J’attrape mon objectif et une stenorette puis j’avance. Je marche dans la pelouse et des gamins m’observent. Je m’en tape que ce soit interdit ; c’était une règle stupide à mon sens. Mes rangers peuvent bien abimer les jeunes pousses ; l’herbe c’était bien plus solide que l’on croyait. Il arrivait devant les marches ; l’endroit n’a pas fière allure à première vue. Plutôt sympas, mais pas de quoi en faire des caisses. Qu’importe. Je prends une petite photo ; je profiterais de la fin de l’après midi pour en prendre une autre ; les lumières me seront plus favorables. Je connais mon travail mine de rien.

L’on ma demandé de trouver des petits trésors dans cette ville ; je suis persuadé que je peux trouver mieux que ça. Il me faut du temps. Beaucoup de temps. L’on ne me voit pas, je suis partout. Je repère peu à peu, les personnalités intéressantes. J’ai rendez-vous avec une femme un peu spéciale. Ce lieu est spécial. Une école pour les mal entendant ; c’était une bien belle carte postale ! On peut me qualifier de sans cœur, ces gens ne me connaissent pas. Il ignore que depuis mes sept ans je me suis occupé de ma pauvre mère handicapée ; alors qu’ils me lâchent avec leur pitié. J’ai assez donné de ma personne, de mon âme ; de mon amour propre. Un type m’accueille tout sourire ; je l’observe au travers de mes verres noirs alors qu’il me dirige vers ce qui semble être une salle des professeurs où nous serions d’après lui « tranquilles » ; il allait donc rencontrer un professeur très spécial ? Il avait hâte de voir ça.

Je poussais la porte ; je l’aperçois. Elle griffonne. Je ne sais pas si elle fait semblant de ne pas m’avoir entendu ; c’est assez drôle comme situation. Je fais mine de toussoter ; elle bouge mais ne me regarde pas. Je ne me dégonfle pas ; j’ai connu plus coriace.  Je prends une photo et le flash la fait réagir ; enfin elle m’honore d’un regard. D’un geste de la main, je fais glisser mes lunettes sur son front puis je lui sers l’un de mes sourires amicaux avant de lui dire d’un ton assez conventionnel « Bonjour, je suis Hunk. Le type qui va vous poser des questions pendant une dizaine de minutes. » Pas si conventionnel que cela comme discours. Je tends la main pour la saluer, j’y mets un minimum de forme. Même si je suis un sacré goujat je sais plus ou moins me tenir quand je travaille. « Merci Savannah de m’accorder un peu de votre temps. » Mettre les formes, paraitre particulièrement attaché au sujet de cet article. Mais il voulait savoir avant tout ce qu’elle avait de si spécial, d’assez spécial pour le retenir plus de dix minutes.

Hunk se contente de sourire ; elle se présente. Il le savait déjà. Il ne sait pas qu’elle est sourde elle aussi ; pourtant sa façon de parler lui apparaît étrange. Il prit place face à elle ; ses yeux bleus ne la quittaient pas. Elle lui demande si elle doit signer quelque chose ; il esquisse un sourire et sortait alors une feuille dont elle aura la liberté de lire et de remplir quant au droit à l’image et de citation. Il ne tenait pas à avoir de procès au derrière à la première entrevue. Il était devenu expert en la matière et d’assez bon avocat. « Tenez ; rassurez-vous la photo était une petite plaisanterie. Ceci dit ; vous rendez plutôt. » Il lui proposa même de jeter un coup d’œil sur l’écran de son appareil photo hors de prix. Avant d’enfin répondre à la dernière question qu’elle lui avait posée. Elle ne semblait pas vraiment emballée, peut-être la dérangeait-il. Alors il pose la sténorette sur la table « Très bien. Votre directeur s’est déchargé de la tâche de répondre à mes questions. Vous n’êtes en aucun cas tenue à répondre à chacune d’entre elle. Mais… Mon but est bien de vanter les mérites de l’établissement dans lequel vous travaillez. » Il se grattait un instant derrière l’oreille avant de mettre en route l’appareil d’enregistrement.

« L’on pourrait longuement causer de l’histoire de la création de cette école ; mais sincèrement ce n’est pas très… Palpitant. Alors quelles sont les priorités pédagogiques de cette école ? Quelles espérances d’avenir donnez-vous à ses enfants atteints de surdité ? » Si elle lui sortait le fameux discours où ils n’étaient pas plus anormal que les autres ; sans quoi cet article promettait d’être tout à fait ennuyant. Il jouait un peu la provocation ; il était un personnage arrogant. C’était sa façon à lui de maitriser la situation ; de ne pas se laisser dépasser par les événements. Il se protégeait à sa manière ; et puis il devait avouer qu’avoir le pouvoir sur les autres c’était carrément génial. Avoir le contrôle tout simplement, ne pas se noyer.

Elle prit du temps pour réfléchir et évidement je lui lassai le temps nécessaire pour qu’elle choisisse ses mots, bien que je m’ennuyais d’avance, je n’en témoignais rien. J’étais d’une hypocrisie à toute épreuve. Puis enfin elle me parle, je l’observe. Elle exprime un objectif des plus basique quand tout à coup elle ne parla pas uniquement des élèves, mais… D’elle ? Du corps enseignants ? N’y avait-il que des sourds dans cette école ? Je l’observe, elle parle, je l’écoutais avec attention, quand elle a fini. Je souris avant de reprendre « Je vois… Si j’ai bien compris, le corps enseignant a également des troubles de l’audition ? » Sans vouloir leur faire la morale, je doutais pourtant que ce soit une bien brillante idée, bien qu’assez original. Je comprenais bien mieux pourquoi elle fixai mes lèvres de la sorte à tel point que j’avais presque trouvé cela indécent bien qu’il en fallait bien plus pour me choque. Je poursuis pourtant mon interrogatoire « Est-ce que vous pensez alors que la préoccupation de ces enfants et de trouver un emploi, que leur bonheur passerait par un objectif de normalité ? Une norme bien souvent des plus ennuyantes. Sans vouloir vous manquer de respect madame ou mademoiselle ; j’interprète peut-être mal vos mots. Mais nous sommes d’une société assez étrange ; n’est-ce pas déjà se stigmatiser d’être dans une école spécialisée ? Ils savent qu’ils ne sont pas comme les autres, leur objectif passerait donc par une sorte de graal de la normalité ? Vous pouvez affirmer, tout le monde sait malheureusement que cela ne peut-être autrement. » Une façon détourner d’arriver possiblement à mes fins.

Elle me trouvera probablement exécrable, tout simplement insupportable, arrogant et peut-être prétentieux. Qu’elle me chasse et tout la ville saura que dans cette école une hystérique sert de professeur. Oui, je la teste, je la pousse. J’attends ses réponses, ses réactions. Je m’amuse, comme toujours. Ce métier est fabuleux, ce métier est ma vie. Et même si je n’ai pas d’ami, je me dis que l’on ne peut pas tout avoir. Elle est très jolie, ça m’ennuierai presque de la contrarier.

Je n'ai pas voulu lui avouer que moi-même j'étais sourde. Ça ne le regardait en rien. Je me suis pourtant vendue tout seule. Il ne manqua pas de sauter sur l'occasion pour ma flageller, ou presque... Ce n'était pas le premier à me parler de la sorte. Il voulait tout savoir, il avait soif de scoop. Ce n'était pas près de moi qu'il allait les trouver. Je mettais un point d'honneur à ne pas sortir de mes gonds. Je ne voulais surtout pas qu'il publie un papier avec pour titre : « Professeur sourde hystérique à l'école spécialisée du coin. » Jamais je ne ferais perdre une once de crédibilité à mon établissement. Je n'y étais peut-être qu'un simple professeur, je ne voulais néanmoins pas défavoriser les étudiants. « Vous avez bien compris. Cependant, je suis la seule à être atteinte de ce trouble dans le corps enseignant. » Il n'avait pas besoin de le savoir, mais comme ce n'était un secret pour personne, il pouvait bien être lui aussi au courant. Mais je ne voulais pas m’appesantir sur le sujet. Je savais qu'il n'en resterais pas là, je voulais juste limiter les dégâts. J'ai donc mis un point d'honneur à me concentrer sur ses remarques suivantes. Comme toutes les personnes entendantes, ce journaliste ne voulait pas croire que nous, personnes sourdes, pouvions avoir un avenir « normal ». Je trouvais ça prétentieux de sa part et de toutes les personnes qui avaient le même avis. Cependant, comme je l'ai déjà dit, je ne voulais pas discréditer l'école. J'ai donc soufflé un bon coup avant de lui répondre. « C'est madame. Et non, ce n'est pas se stigmatiser d'être ici. Vous imaginez qu'un élève sourd aille dans une école dite ''normale'' ? Bien-sûr que non ! Il serait rejeté immédiatement ! Il faut bien que la société pare à la méchanceté de sa population. Tout le monde a droit à une éducation, scolaire j'entends. » Je repris mon souffle avant de continuer. « Quant à l'objectif de normalité comme vous dites, qu'est-ce que cela signifie vraiment ? Qu'est-ce que la normalité ? Personne n'est normal. De même que personne n'est parfait. » Je ne voyais pas du tout où il voulait en venir mais j'allais tout faire pour faire passer mon point de vue et celui de l'école, d'une façon polie et qui serait perçue positivement. « Nos élèves font de leur mieux et c'est tout ce qui compte. Qu'ils arrivent à travailler en tant que professeur dans cette école ou dans un garage pour réparer des voitures n'a aucune importance. L'important est qu'ils décrochent un emploi, comme vous et moi. Certes, ce sera plus difficile pour eux que pour n'importe qui d'autre non porteur de handicap. Mais cela ne rendra la chose que plus honorable. » Cette interview promettait d'être éprouvante. Tout ce que je disais me tenait particulièrement à cœur. Il fallait que mon message soit bien perçu.